Et voilà ! Premier jour dans la vraie vie. Je fais le saut de l'ange pour soi-disant grandir. Et il faut être franc, je n'avais rien vu venir. Je regardais à peine défiler les années et les journées commençaient quand le soleil était à son apogée, me traînant en cours.
Les nuits rythmaient ma vie d'une musique que j'aimais par-dessus tout. Ce fut toujours un moment agréable à mes yeux : l'obscurité, les sorties nocturnes et toute cette intimité qui s'installe dès que la terre tourne le dos à l'astre de vie. J'étais un enfant de la nuit, habitué à la fraîcheur et aux étoiles. Mais tout a basculé d'un coup. Ça n'est pas arrivé tout doucement. Ça m'a claqué en pleine face et autant dire que c'est foutrement douloureux. C'est comme lorsque l'on est enfant. On est sur une balançoire, basculant rapidement en tentant de toucher le ciel avec nos pieds et alors qu'on croit voler, deux mains se plaquent dans notre dos et paf ! Le choc brutal de la réalité. À genoux face contre terre, on vient d'atterrir.
Je ne suis plus un enfant mais le choc n'est pas plus doux pour autant. Je suis arrivé ce matin devant l'immeuble où se trouve mon nouvel et premier appartement. C'est vraiment beau, il n'y a rien à redire : style ancien et typiquement français, très classe et bien entretenu. Mais quelque chose me retient dehors. Mes pieds semblent avoir fusionné avec le bitume et mes yeux sont rivés sur la fenêtre qui est à coup sûr celle de ma chambre.
J'avais ma petite vie bien à moi avant et tout commence à me sembler effrayant. Plus encore, c'est ma future solitude qui me pèse déjà. Je suis fils unique et ai toujours eu beaucoup de liberté, d'espace et d'indépendance. Cependant je savais que je n'étais pas seul.
Là, si.
Je vais entrer dans cet appartement et m e retrouver face à moi-même, sans personne d'autre. Il faut bien se lancer à un moment ou un autre. Alors je remets mon sac sur mon épaule et monte les marches en bois jusqu'au deuxième étage, arrivant devant une grande porte. Je fais rouler la clef dans ma main quelques secondes avant de me décider à la glisser dans la serrure. Un déclic se fait entendre et pour la première fois je vois mon « chez moi ». Ça fait sacrément bizarre. Les murs arborent une teinte entre le beige et crème, les meubles et le plancher sont en bois clair. C'est beau et lumineux.
Je me sens tout de suite bien ici et m'assieds sur le canapé beige foncé, m'enfonçant dans le moelleux du dossier. Un sentiment de plénitude s’enracine en moi. Et c’est venu de suite, contrairement à ce que je pensais. Je regarde les meubles d'un coup d'œil puis arpente les deux autres pièces : chambre et salle d'eau. Le lit est attirant. C'est bien la première fois que j'utilise ce mot pour parler d'un meuble ou d'un objet mais c'est mon unique ressenti. Étrange fusion entre un lit une place et deux places, coincé dans un angle. J'ai toujours aimé les lits à baldaquin même si je n'en ai jamais possédé. Je trouvais simplement ça sympa dans les films, sans avoir l'idée de m'en procurer un.
Cet appartement a été une véritable affaire pour moi. Loué avec tous les meubles, disponible de suite et à un prix plus que raisonnable malgré le quartier de la capitale où je me trouve.
À ce que j'avais compris, bien que l'agent immobilier ait tout fait pour éviter le sujet, une jeune fille avait habité ici avant moi et était partie subitement sans jamais donner de nouvelle. Laissant tout les meubles lui appartenant.
Je m'allonge sur le lit, m'enfonçant dans le matelas comme dans un bain de coton soyeux et repense à tout ça. Chaque meuble, chaque pièce a vécu avant que je n'arrive. Tout ce qui m'entoure a un passé alors que moi je me lance dans un futur présent. Jusque-là j'étais en pleine forme mais, étrangement, je sombre rapidement dans un profond sommeil.
Des boucles blondes chatouillent mon visage et alors que j'ouvre les yeux, c'est pour me noyer dans deux yeux d'un vert acide. Un petit rire cristallin et envoutant retentit et je me réveille, presque en sursaut. Le radio-réveil affiche vingt-trois heures mais ma montre dix-neuf. Tout ne semble pas être bien réglé ici. Quoiqu'il en soit, je viens de dormir pendant plus de trois heures et il est temps que je me lève, afin de prendre possession des lieux à mon tour.
Je passe encore deux heures à ranger mes affaires. Déballer mes sacs. Et malgré mon travail, je ne vois que son visage alors que son rire tinte encore à mes oreilles. Le propre des rêves est bien sûr de nous paraître vrais mais cette fois c'est différent : je l'ai sentie, je l'ai vue et si un colocataire partageait ce lieu avec moi je lui ferais passer de ma chambre au salon, afin qu'il témoigne de l'odeur de vanille qui emplissait l'air près de mon lit et qui, à coup sûr, n'était pas là quelques heures auparavant.
Demain c'est mon premier jour à la faculté, et en attendant sans impatience ce jour je m'allonge de nouveau sur le lit quand la porte d'entrée claque. Je me souviens l'avoir verrouillée et sursaute. Le courage n'est pas la qualité qui saute aux yeux quand on me voit et je n'ai pas très envie d'aller jouer les super-héros. Bien que l'idée qu'il y ait quelqu'un m'effraie d'autant plus, je pose doucement mes pieds sur le plancher et marche à pas de loup jusqu'à la salle principale. Une odeur de vanille emplit les lieux et je souris tout en réalisant que ce n'est pas normal. La porte est fermée. J'ai dû rêver.
La journée à été des plus ennuyeuses : prendre en note l'emploi du temps, mentir à mes parents en leur disant qu'ici tout va bien. Je rentre seul, soulagé que les dix-huit heures soient passées mais me stoppe de nouveau devant ma porte, elle est entrebâillée. Je pose une main mal assurée sur la poignée et pousse doucement, évitant de la faire grincer. Une jeune fille de mon âge est assise sur le sofa. Les jambes croisées, elle lit un de mes livres préférés. Je ne sais pas comment réagir, pose mon sac et referme la porte, attirant son attention.
– Excusez-moi, mais... Vous êtes chez moi, là.
– Oh! Pardon. Je ne voulais pas te faire peur. C'est toi qui as repris le bail ?
– Oui. Vous êtes la femme qui habitait ici avant ? Celle qui est partie sans plus donner de nouvelles ?
– Hum, oui. Je ne pensais pas qu’il serait loué, je venais simplement chercher le dernier carton qui se trouve à la cave, les meubles je n’y tiens pas mais les derniers effets personnels qu’ils ont emmagasiné en bas, j’aimerai les récupérer.
– Pourquoi n'aurait-il pas été loué ? Il est super. Et oui, oui bien sûr je vais vous retrouver les clefs de la cave.
– Mais hanté.
– Pardon ?
– L'histoire de l'appartement contre une tasse de café ?
Elle lève vers moi des yeux aussi bleus que le ciel, très clairs, qui vont si bien avec la pâleur de ses cheveux blonds. Je ne sais pas quoi faire. L’histoire d'appartement hanté a aiguisé ma curiosité. Ça tombe bien car je finis justement d'écrire mon premier manuscrit et toute idée est bonne à prendre. Je lui souris timidement, faisant semblant de réfléchir et lance de la façon la plus nonchalante possible :
– Tu vis tout seul ?
– Hum. Oui, malheureusement.
– Tu n'aimes pas ça, hein?
– Non pas vraiment. Ça me file le bourdon.
Elle rigole doucement, d'un rire charmant et me tend la main pour que je la rejoigne sur le sofa. Je trouve ce geste un peu trop familier pour le peu de temps depuis lequel nous avons fait connaissance mais prends tout de même ses doigts pâles entre les miens, m'asseyant près d'elle. Je suis plutôt du genre timide et maladroit avec tout ce qui ressemble à un être humain et pourtant, je ne ressens pas cette gêne auprès d'elle.
– Tu n'auras plus le bourdon, désormais.
– Pardon ?
– Le bourdon. Tu m'as dit que tu n'aimais pas être seul.
– Oui mais... Où étiez-vous tout ce temps ? Et puis on ne se connait même pas.
– Je m'appelle Cassandre. Et toi?
– Euh. Camille.
– Bon et bien, voilà, on se connait maintenant. Tu veux que je te raconte l'histoire que je t'ai promise pour te remonter le moral ?
– Ce n'est pas de refus, Cassandre. Je lui réponds avec un petit sourire.
– Je suis partie d'ici pendant deux ans après y avoir vécu deux autres. Je ne supportais plus d'entendre toutes ces voix, ses rires et de sentir ces odeurs. À ce qu'on m'a raconté, ici serait mort un écrivain. Il y a relativement longtemps. Près d'un siècle. Tu sais, c'est un vieil immeuble chargé d'histoire ! L'écrivain aurait été de plus en plus absorbé et obsédé par son livre qu'il serait devenu fou, mourant ici, quelques jours après avoir écrit la dernière page de son roman.
– Eh bien, je n'imaginais pas que cet endroit avait tant de choses à raconter.
– Maintenant tu le sais.
Cassandre et moi avons passé la nuit sur ce sofa. Moi je l'écoutais me raconter tout ce qu'elle savait et, croyez-le ou non, ça faisait un sacré paquet de savoir.
Quand je me suis réveillé elle n’était plus là. Il m’a fallu plusieurs minutes pour sortir de l’état somnolant qui me retenait. La journée d’hier n’était qu’un brouillard, un rêve. Au fond peut-être avais-je rêvé cette histoire.
Mais les semaines ont passé et, lorsqu’elle est revenu frapper à ma porte, attisant lentement mon amitié pour elle, je ne l'ai pas jetée dehors.
J'aime sa présence, sa voix, ses rires et ses idées. Grâce à elle j'ai pu doubler mon temps de travail personnel, arrivant à terme de ce que j'espère être mon premier roman. À dix-neuf ans, ce serait tout de même formidable. La fac m'intéresse de moins en moins. Ce fourmillement de vie grotesque d'étudiants hilares dès les premières heures de la journée me fatigue. Je préfère le calme de mon appartement à ces couloirs interminables de lumières artificielles.
Et puis elle est là. Cassandre et moi nous entendons mieux que je ne l'aurais imaginé. Il est près de deux heures du matin et je l'entends arriver derrière moi. Je me retourne et la regarde me sourire. Comme la toute première fois, elle me tend la main et je la prends, la suivant jusqu'au lit que nous partageons à présent. Ses cheveux blonds sur mon visage sentent la vanille, cette odeur obsédante de vanille qui embaume maintenant tout l'appartement. Ses yeux dans les miens puis mon corps dans le sien.
Lorsque je rouvre les yeux, elle s'est endormie et les premières lueurs du jour filtrent à travers les rideaux. On frappe à la porte. Il est tôt. Bien trop tôt pour que j'aille répondre et puis, je ne le veux pas.
Des pas résonnent dans l'escalier, redescendant, puis s’évanouissent chez la concierge de l'immeuble. Un jeune garçon blond aux cheveux soigneusement ébouriffés se retrouve face à une femme d'un certain âge, les yeux encore gonflés par le sommeil tout juste disparu.
– Excusez-moi de vous déranger à cette heure, madame, mais mon ami qui habite ici n'est pas venu à la fac depuis près de deux mois. Il est malade ?
– Le garçon qui a emménagé à la fin de l'été ?
– Oui, il est brun et assez grand. Un peu maigre aussi. Ça vous dit quelque chose ?
– C'est quoi son nom ? Cohen ? Camille Cohen ?
– Ouais.
– Il est sacrément bizarre votre copain. Il y a un bruit pas possible là-haut. À croire qu'ils sont une dizaine. Et pourtant je n'ai jamais vu personne d'autre que lui en descendre ni même y aller.
La femme referma sa porte avant même que le garçon blond n'ait eu le temps de lui répondre. Le dernier mail qu'il avait reçu de Camille lui indiquait qu'il avait trouvé une amie qu'il aimait beaucoup et qu'il ne devait pas s'inquiéter de ses absences. Mais si personne n'était là-haut avec lui, d'où venait tout ce bruit ?
La concierge est montée il y a une semaine, me laissant un petit mot sur la porte pour me faire savoir le passage d'un ami. Autant dire que ça ne m'a pas vraiment intéressé. Mes doigts effleurent rapidement les touches de mon clavier, noircissant les pages virtuelles de mon écran. À chaque mot écrit sur cette page c'est un trop plein de moins en moi. Cassandre m'a beaucoup aidé et ce livre, j'en suis certain, sera génial. Tout ce qu'elle sait sur les lieux, les histoires et légendes, m'a aidé comme jamais. Je dois cependant avouer que j'ai perdu l'attrait du sommeil ainsi que l'appétit. À croire que ce que je me suis moi-même mis à entendre dans cet appartement me ronge. Peut-être avait-elle raison depuis le début. Peut-être ne devrais-je pas rester trop longtemps ici. Juste assez pour finir mon livre et quitter cet endroit hanté.
– Quand penses-tu avoir fini ? Me demande-t-elle en entrant dans la chambre.
– Il ne me reste que la fin. Deux chapitres, je dirais.
– Oh, la fuite ?
– La course poursuite, en réalité.
– Tu as écrit quelque chose de nouveau ?
– Oui. Quand l'homme devient fou il tente de partir, de fuir l'appartement hanté pour échapper à ce qu'il croit être des fantômes mais qui sont en fait ses propres démons.
– Si seulement ici aussi il n'y avait pas de vrais fantômes...
– Ne t'en fait pas, nous partons bientôt.
Je passe la nuit à écrire, de plus en plus vite. De plus en plus. Les pages défilent devant mes yeux comme pour exorciser mon propre esprit. J'ai peur de cet appartement mais je ne partirai qu'une fois ce chapitre, cet ultime chapitre fini.
Les rayons de la lune n'existent plus et à mesure que le temps passe, les rires sortant des murs me terrifient à un point de non retour, la lumière vacille et ma tête semble vouloir concurrencer les manèges les plus rapides. Je me sens tomber.
Alors que mon chapitre se termine, je le relis. La nuque brûlante de sueurs froides.
« Et alors qu'il ne pouvait survivre ici, il prit la décision la plus douloureuse qui soit : il quitta l'appartement dont il était devenu dépendant, cramponné à lui comme à la drogue qu'un camé attend chaque jour et martyrisé par ce dernier, comme la victime par son bourreau. Il courut, encore et encore à travers la nuit noire, mais qui peut réellement se vanter de pouvoir échapper à ses démons ? Une piqûre douloureuse lui traversa la gorge et ce fut le noir le plus complet. »
Un homme d'une quarantaine d'années accompagné de sa femme, en pleurs dans ses bras, regardent à travers à vitre d'une cellule sécurisée. Un adolescent, presque un jeune homme, semble si fragile à l'intérieur, les yeux rivés au plafond. Seule chose qu'il puisse voir, ainsi attaché au lit. Il tourne la tête vers le néant et sourit.
– Que s'est-il passé, Docteur ? Demande le père.
– C'est la concierge qui a appelé il y a deux nuits de ça. Il est en proie à de terribles délires. Vous ne le saviez pas schizophrène ?
La mère étouffe un sanglot, comme si l'on venait de lui annoncer le pire diagnostic qui puisse exister.
– Non. Non, rien de cela. Il a toujours eu de l'imagination et un goût prononcé pour la solitude mais... non. Rien d'autre.
– Camille a perdu près de dix kilos et n'a plus aucune connexion avec la réalité. Il dit vivre avec une jeune fille qui n'a jamais existé, même pas comme ex-locataire de l'appartement ainsi qu’il semble en être convaincu. Il se dit aussi persécuté par les fantômes qui habitent l'appartement où il se trouve.
– Mon Dieu ! Que lui est-il arrivé ?
– Nous allons tout faire pour l'aider, madame. Nous n'avons retrouvé chez lui que ceci, un manuscrit sur lequel il travaillait. Vous devriez le lire...
– Merci, Docteur... répond la mère en se saisissant de la pile de feuilles noircies.
– Encore une chose, il dit sentir en continu une odeur de vanille...
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