L'œil flapi, absorbé par le levant, j'attends, désespérément, la représentation du jour. Il m'arrive régulièrement de contempler la rixe quotidienne qui se perpétue ici, là, partout. De coutume, je m'exalte rapidement devant ce spectacle et puis je gagne mon lit. J'admire l'obscurité qui se débat, qui s'essaie, qui se risque, qui brave vaillamment la clarté du naissant. Toutes deux, arrogantes et dédaigneuses, se toisent, se défient, se provoquent et se narguent. La joute obstinée ne semble, durant quelques instants, trouver de fin. Je divague un moment et l'image d'une estampe libertine se dessine. Comme une lithographie aux allures tendancieuses. L'élucubration d'un coït sauvage, pervers et dépravé. L'amour sauvage du jour et de la nuit. Je me plais à voyager au grès de l'illusion. Comme le gamin songeur qui crayonne dans les cumulo-nimbus. Mais finalement, la querelle entre le jour et la nuit a moins la gueule d'un accouplement salace qu'un différend politique ; À toi. À moi. Chacun son tour, on régnera. Et cætera. Je me plais à divaguer sur la moindre idée. Puis, brusquement, la réalité me rappelle.
Et une nouvelle extravagance me saisit. Et si le jour n'avait ni fin, ni commencement ? Et si un matin à l'aube, l'obscurité, tenace et entêtée, désireuse de l'emporter, venait à triompher ? Et si le soir au couchant, la clarté, sur le modèle de dévotion de son ennemie jurée, ne laissait à jamais le jour se coucher ? Mais, tout à coup, alors que la crainte m'envahit, la nuit se désiste, préférant se détourner de l'affront. Et je l'admire. Et je l'observe. Elle, qui abdique et renonce à ses positions. Elle, qui se courbe. Elle, qui se plie à la volonté du concurrent. Elle, qui s'efface en toute abnégation. Elle prendra sa revanche, c'est sûr, ce soir, au ponant, auprès de celle qui, des lieux, s'empare prestement.
Et l'autre, la victorieuse, de sa lumière bâclée, qui se voudrait des airs de couchant sur le large, ordonne au monde des vivants de se bouger, de se mouvoir, de prendre vie. Je me remets en marche, je m'actionne à nouveau, je semble en faire partie.
J'ai, une fois encore, cédé à la nuit, à son entrain. j'ai trainaillé aveuglément dans les ardeurs de la ténébreuse, je crois même pouvoir dire que je lui ai sucé le sein. J'ai battu le pavé, j'ai sillonné l'enchevêtrement. J'ai parcouru les troquets et j'ai palabré le passant. Je ne sais dire non à cette velléité pernicieuse qui m'entraine constamment. Mais, alors que je contemple la vigueur névrosée du matin, je perçois une démarche veule dans le méandre urbain, je me fascine un instant, je m'intéresse pleinement, car ce pas gauche dans la rutilance n'est autre que le mien. Sensation inexplicable que de se voir marcher. Le Moi ne comprend pas. Le surmoi est largué. Il ne reste que le Ça pour pénétrer l'ambiguïté.
Je ne suis qu'à quelques pas derrière lui. Il déambule tel un rêveur, curieux, attentif, voyeur. Le duplicata est à s'y méprendre; l'imitation de qualité. Et le voile se lève. Je retrouve mon frère, de quelques instants mon puiné.
J'use du temps à ses cotés, et heureux de le trouver, j'y perds la matinée. Le froid qu'on s'est jeté, qui nous a séparé, voilà quelques années ne s'est, semble-t-il, pas dissipé. Je le sens très bien derrière les apparences. Mais on s'oblige, on se contraint.
On évoque, on repense; on retrace, on se souvient. On joue de ces fâcheuses réminiscences qui, effritées par le temps, raniment nos instants. On questionne le révolu, on jubile de ces souvenirs communs, on bataille avec les mots de ce qu'hier était. Et en définitive, on brasse beaucoup de vent.
Sans même m'en rendre compte, on a gagné ma porte. Je l'invite à entrer. Il décline poliment, une affaire semble urgente. Il m'assure d'une prochaine fois. Je souris niaisement. Et il disparaît.
Je n'ai pas encore franchi le seuil, qu'elle vocifère déjà; ma mère. Elle est si belle dans sa colère. Elle aimerait bien savoir où la nuit m'a encore entrainé. Je ne sais pas trop quoi répondre. Vaut-il encore mieux qu'elle l'ignore. Elle, qui cherche explication à ma situation. Il semblerait que je sois un irresponsable. Je ne serai, paraît-il, jamais prêt pour vivre seul. Je suis obsédé par tout ce qui n'a pas attrait avec la réalité. La moindre odeur, la moindre image, et hop je décolle.
Alors que j'ose m'extasier sur cette matinée inespérée, elle ne cesse de me répéter, qu'il me faut refouler cette idée, car depuis longtemps désormais, mon frère a trépassé.
Vous êtes sur la version optimisée pour Iphone du ZORNproject.
Pour retourner sur le site classique, cliquez ici