Allez, on y va, let’s go, comme ils disent. Ça va aller. Respire. Ouvre la porte... Tranquillement, n’aie pas peur. Voilà, comme ça, pose la main sur la poignée... Houlà, elle est froide. C’est le problème, avec le métal, quand il fait froid dehors... Ca me rappelle les fauteuils en cuir de ma mère, un cauchemar... L’hiver on y gèle et l’été ça colle aux fesses. En plus ça couine, cette saleté... Ils sont beaucoup trop roses, ils sont beaucoup trop roses... Oui, on le saura...
Ok, on s’en fout, des canapés de ma mère, on y va, là, la porte va pas s’ouvrir toute seule... Allez, arrête de faire ta mijaurée, ça va bien se passer, qu’est-ce que tu risques ? Au pire des cas, ils te rient au nez... Mais j’ai pas envie qu’ils me rient au nez, moi... J’ai pas envie d’avoir l’air ridicule... Oui bon, ils te rient au nez, et puis ? C’est juste un mauvais moment à passer, et les mauvais moments, ça me connait... Allez, ouvre-la cette putain de porte ! C’est pas vrai ça !
C’est froid... C’est pas normal qu’elle soit froide comme ça, cette poignée, peut-être que je devrais m’en préoccuper ? Après tout c’est pas si grave, si je le loupe, ce rendez-vous... Non, ça suffit, les caprices, tu te bouges les miches ma belle, tu prends sur toi. Petit pas par petit pas, ça va aller, fais-moi confiance... Et pourquoi je te ferais confiance, d’abord ? Tu n’es qu’une voix dans ma tête, une voix qui me force à faire des choses qui m’incommode... Je suis ta voix, ne sois pas stupide. Ouvre la porte et file. Petit pas par petit pas. La porte. C’est froid, c’est si froid, et dehors il y a tant de gens qui me regarderont, j’ai peur. Arrête d’avoir peur, c’est ridicule. Ouvre. OUVRE.
Elle grince, faut que je l’huile avant de partir... NON ! Arrête, ça suffit, tu veux y aller à ce rendez-vous, il est important, tu le sais très bien, alors arrête tes gamineries et pousse la porte... Voilà... Doucement... Tu vois ? Il ne s’est rien passé de mal, ça va aller, trust me.
Oh, il fait beau aujourd’hui, joli ciel, pas de nuage, c’est agréable... Enfin c’est dommage qu’il fasse si froid... J’aurais peut-être dû mettre une écharpe, non ? J’ai peur d’attraper la crève... Non. Ca ira comme ça, arrête de toujours reculer dès que t’avances. Mets le pied dehors, allez. Pourquoi ils me regardent tous, j’ai un truc sur la figure ? Ma braguette... Non c’est bon, elle est fermée... Qu’est-ce qu’ils me veulent ? Laissez-moi tranquille, je vous ai rien demandé, passez votre chemin, arrêtez de me regarder... C’est un signe, il faut pas que j’y aille, à ce rendez-vous, ça va mal se passer, c’est sûr, c’est pour ça qu’ils me regardent tous...
AHHH ! Punaise, qu’est-ce que j’ai eu peur, satanée porte ! Elle grince mais ça l’empêche pas de claquer ! Charmant... Bon. Peut-être que ÇA c’est un signe. Ok, c’est bon, j’y vais, vous avez gagné. Je suis dehors, de toute façon... Tiens, attends, j’ai pas oublié mes clés ? Ah non, c’est bon, elles sont dans ma poche.
Respire, ma vieille, tu vas nous faire une attaque... Qu’est-ce qu’il me veut, lui ? C’est ça, t’as raison, passe ton chemin ! Non mais je rêve... Bon, le métro, c’est parti... Je le sens pas, le métro... En plus j’aime pas cette ligne... Franchement, qui prend la trois ? Je sais même pas où elle va... Parmentier, Parmentier... Ah, c’est là ! Faut que je change, évidemment. Un, deux, trois, quatre... Je suis pas arrivée... La quatre et la trois... Super... J’espère que le changement n’est pas trop long... Ca m’angoisse, les couloirs du métro, des grands boyaux, comme ça, qui mènent nulle part, avec des gens partout qui te bousculent et qui te regardent de travers... Pourtant je devrais être habituée, depuis le temps... Aïe ! Et ça commence, t’excuse pas, surtout... Houlà, il avait pas l’air commode celui-là, on va éviter de se faire casser une dent avant d’arriver, ok ?! On se la joue cool, tranquille...
Je me sens pas bien, j’étouffe, je veux rentrer... Non non non, on rentre pas, on reste là. On attend le métro, bien sagement, avec ces cent autres charmantes personnes qui me regardent en coin, ils croient que je les vois pas... Mais je vous vois... JE VOUS VOIS !!!!! Chut, calme-toi, respire... J’étouffe... Ils m’oppressent, tous ces gens, qu’est-ce qu’ils me veulent ? Arrêtez de me regarder comme ça... Calme-toi, calme-toi, personne ne te regarde, tu fabules ma pauvre fille, ils s’en foutent, de ta gueule, tout ce qu’ils veulent c’est rentrer chez eux, ou aller bosser... qui sait ?
Le métro arrive, enfin. C’est pas vrai, cette manie de pousser dès que les portes s’ouvrent ! C’est con, en plus, si on laisse pas les gens sortir, on pourra pas rentrer ! C’est stupide, franchement... Holà ! On se calme, me poussez pas... Il l’a fait exprès, là, non ? Non, c’est ridicule, arrête, c’est ridicule... Pourquoi il voudrait me pousser... Il recommence ! Cette fois c’est sûr, il veut que je tombe, que je me fasse mal... Mais je peux plus partir, maintenant, il y a des gens partout... partout... Je peux plus sortir, faut que je sorte, laissez-moi sortir... Oh non, le "signal sonore"... Laissez-moi passer... Les portes vont se fermer et je pourrai plus jamais sortir... Laissez-moi...
Trop tard.
Oh c’est pas vrai... J’en ai un qui me touche les fesses, là, te gêne pas surtout... Ils sont tous contre moi, c’est clair... Même elle, là-bas, avec son gamin, tu crois que je t’ai pas vue... ? Je sais que vous êtes tous après moi, mais vous m’aurez pas, je descendrai à la prochaine station, et là on est trop tassé pour que vous me fassiez quoi que ce soit... Hé ! Mais il arrête de me tripoter le pervers ?! Calme-toi, calme-toi... Je vais essayer de me tourner un peu... Oui, sauf que si je me tourne, c’est plus l’arrière, qu’il aura dans la main... Ok, je reste comme ça... M’en fous, s’il continue, je lui lâche un pet... Hihihi... Alors là je les ai vus ! Ils se sont tous retournés, ils me guettent, ils m’ont entendu ricaner... Ou alors ils entendent ce que je pense... Ohlala, dans ce cas je suis mal... Si vous entendez, je sais que vous m’entendez... Attends, ça a pas de sens ce que je dis... Ok, on s’en fout, si vous écoutez, vous me faîtes pas peur ! Non, pas peur du tout...
C’est pas vrai. Vous me filez une trouille pas possible. Je veux rentrer chez moi, ils sont partout, ils me surveillent, ils m’écoutent... J’aurais jamais dû sortir, je le savais, j’aurais jamais dû m’écouter... Ah, une station, j’ai qu’à sortir... Mince, c’est Châtelet, j’arriverai jamais à sortir... Ils ont bien calculé leur coup, les salauds... Je me rendrai pas sans me battre... Laissez-moi sortir... Allez, s’il-vous-plaît, soyez sympa, laissez-moi sortir... Tu parles, qu’ils vont te laisser sortir... Tiens, le pervers s’est barré, cool ! Bon allez, c’est pas grave, je me fais encore une station... Petit pas par petit pas...
Ouf, ça s’est un peu vidé... Faut que je m’assoie, comme ça ils me verront plus, ils penseront à autre chose et ils me laisseront partir... Non il y a encore trop de monde, je trouverai jamais de place... Aïe ! C’est ma main, ça ! Non mais sérieux, elle la sent pas, ma main, là ? Tu m’écrases les doigts, grosse vache ! Et après on me dit que je me fais des films... C’est pas possible de pas sentir que t’es appuyée sur la main de quelqu’un, je suis pas transparente... Allez, bouge-toi ! Elle veut pas. Je vais bouger les doigts... enfin essayer... Elle bouge toujours pas, elle le fait exprès, j’en étais sure... Ils sont tous là pour me pourrir la vie, de toute façon, je le savais, j’en étais sure... Personne me croit... Pourquoi personne me croit ?
Ah non, te mets pas à pleurer ! Arrête... Ça y est, elle bouge... Elle descend... Elle se retourne même pas... Je comprends pas pourquoi ils m’en veulent tellement... Pourtant je suis pas une méchante fille, moi, j’embête personne... Je reste chez moi, tranquillement, je fais pas de bruit, je dérange pas mes voisins, ni les passants, je suis polie... Pourquoi ils m’en veulent comme ça ? Pourquoi ils me poursuivent, ils me persécutent ? Arrêtez de me regarder, vous croyez que je vous vois pas ? Si si si... Voilà, vous m’avez fait pleurer maintenant, j’ai l’air stupide, vous êtes contents ? Oui... vous êtes bien contents... C’est ce que vous vouliez, me torturer, encore, toujours me torturer, alors que moi... moi je vous ai rien fait... Laissez-moi tranquille... S’il-vous plaît... Laissez-moi tranquille...
Faut que je sorte, là, j’en peux plus, j’étouffe, ils sont tous après moi... J’ai rien fait... J’ai rien fait... laissez-moi...
Je descends. Je m’en fous, je descends. Réaumur Sébastopol. C’est ma station, en plus, je dois changer. Mais ils le savent, à tous les coups, ils vont me suivre... Respire, allez respire... Ca y est, le métro s’arrête. Les portes s’ouvrent, ça y est, je peux descendre. Dépêche-toi, marche vite pour les semer, il y a plein de gens, ils pourront rien te faire... Dépêche-toi... Oh non, y a la mère et son gamin qui me suivent... Je suis maligne, moi, vous croyez que je vais vous laisser me filer comme ça ? Sans vérifier ? Tu crois que je te vois pas dans les reflets des glaces ? Si je te vois... Toi et ton sale gamin, je vous vois... Oh non ! Le mec au pull rouge est là aussi, il vient de me passer devant... Il essaie de me rouler, de me faire croire qu’il me suit pas... Mais moi je sais... Je t’ai vu descendre après moi, et dès que t’as vu où j’allais, tu m’es passé devant... T’es malin, mais moins que moi ! Ouais ouais ouais, ça marche pas... Toi et la mère, vous êtes dans le coup. Je sais pas ce que vous me voulez, mais je vous ai grillés. Je vous surveille, moi aussi, je vous surveille...
Oh non ! Y a plein de monde, encore, sur le quai... Je me sens pas bien... la mère est toujours derrière, je sais pas ce qu’elle fait, je la vois plus... Pull rouge fait les cent pas là-bas, il fait semblant d’écouter de la musique... Ca marche pas, je sais bien que tu me surveilles... Y a le vieux aussi, celui qui mâchouillait sa pipe éteinte, il arrive avec sa canne, juste après la mère... Pourquoi ils me suivent tous... Laissez-moi tranquille, je vous ai rien fait, moi...
Y en a un qui me regarde, en face, sur l’autre quai... Ils ont aussi des gens sur l’autre quai ? C’est pas vrai, comment je vais m’en sortir moi ? J’ai peur, j’ai tellement peur... C’est tellement injuste, de s’acharner comme ça sur moi... Tellement injuste...
J’ai les yeux qui piquent, ils vont voir que je pleure... Ils vont voir que je suis faible, que je peux rien contre eux et après... Et après... Chut ! Arrête de renifler comme ça, ils te regardent tous maintenant, ils sont contents, je le vois dans leurs yeux... ARRÊTEZ ! ARRÊTEZ DE ME REGARDER ! J’ai les joues trempées, j’ai mal à la gorge... Pourquoi vous faîtes ça ? POURQUOI ?! Je vous en supplie, laissez-moi, arrêtez de me regarder comme ça... Arrêtez, s’il-vous-plaît, arrêtez... NON! Approchez pas! Me parlez pas, m’approchez pas, me regardez pas... Pourquoi tu me souris ? C’est quoi cette pitié dans ton regard ? Qu’est-ce que tu vas me faire ? Qu’est-ce que vous me voulez, je vous en supplie arrêtez, arrêtez... Le métro arrive... Enfin, je serai libre... Vous m’aurez pas. Jamais, vous m’entendez? JAMAIS! HAHAHAHA ! C’est lui qui m’aura, c’est lui, le dernier qui me touchera... Je vais sauter, vous m’entendez ? VOUS M’ENTENDEZ ? T’approche pas plus, toi, là-bas, avec ton air de Saint-Bernard... T’approche pas, je vais sauter... Il arrive, mon sauveur, il arrive avec son cri strident... Il s’approche... Vous me faîtes plus peur... Il s’approche, je suis libre... Je suis libre... Enfin libre... Je vous hais.
TuDuDu... Votre attention s’il-vous-plaît. Suite à un incident grave de voyageur, le trafic est interrompu sur la ligne trois, direction Gallieni. Je répète, suite à un incident grave de voyageur, le trafic est interrompu sur la ligne trois, direction Gallieni. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée.
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