La première fois qu’il m’a violée, je venais d’avoir quatorze ans. Ma mère m’avait préparé une surprise party pour mon anniversaire. Je rentrais de mon cours de clarinette quand je trouvai une dizaine de camarades de classe reluisants dans leurs vêtements du weekend, avachis sur le sofa du salon de notre maison. Il y avait Shelly la vamp, Sonia la tigresse, Myriam la boudeuse, Zoriana l’intouchable, et quelques groupies que le quatuor avait coutume de se trimballer. Huit filles et deux garçons – et pas des petites pointures -, en clair des gens pour qui d’ordinaire je n’existais pas. Peut-être m’apercevaient-ils parfois. Comme une trace de graisse sur les verres de leurs lunettes Dior, ou une bouloche sur leur veste Chanel, un intrus que d’un mouvement de doigt énervé on fait disparaître ou d’une pichenette on envoie valser. J’étais si loin de leur piédestal que leur regard passait au-dessus de moi, à côté, et même parfois à travers moi, mais jamais vraiment il ne s’arrêtait sur mon être corporel.
Et pourtant aujourd’hui ils étaient là, m’aveuglant de leurs sourires.
- Viens avec nous, birthday girl, on va s’occuper de toi, gloussèrent les filles en me tirant par le bras.
Je me laissai traîner jusqu’à la salle de bain où elles me déshabillèrent, me rasèrent les gambettes, m’épilèrent les sourcils, m’enfilèrent une robe si décolletée qu’elle en aurait fait rougir Pam, me maquillèrent, me coiffèrent, me parfumèrent… une heure plus tard, j’en sortis toute étourdie, accoutrée comme une Barbie… une Barbie aux jambes courtaudes et écorchées –c’était mon premier rasage en règle-, et aux cheveux crépus… mais une Barbie tout de même.
Ma mère a poussé un petit cri en me voyant.
- Ma fille, je ne te reconnais pas, a-t-elle bredouillée, émue aux larmes. Comme tu es belle.
Puis elle a embrassé mes joues colorées.
- Tu as quatorze ans aujourd’hui, c’est une étape importante de ta vie… Cette nuit est ta dernière en tant que petite fille. A partir de demain tu es une femme.
Elles ont toutes applaudi, euphoriques. Je sentais le bonheur m’inonder le cœur. Jamais jusqu’à présent je n’avais été le centre de quoi que ce soit.
En guise de confiance ma mère m’a tendu les clés de la maison que j’ai acceptées en tremblant d’émotion.
- Ne vous inquiétez pas, madame Granger, on va bien s’occuper d’elle, lui a promis Shelly la vamp en me glissant un clin d’œil malicieux.
- Tu es un ange, Shelly, minauda ma mère en lui effleurant le visage de ses doigts délicats.
Il m’a semblé surprendre une lueur d’admiration dans son regard mais ç’aurait très bien pu être la jalousie qui me jouait des tours.
Elles n’avaient pas menti. La soirée se déroula à merveilles. On a ri, on a bu, on a dansé.
Puis vers minuit je suis allée préparer une carafe de margharita… et quand je suis revenue, le salon était sombre à l’exception d’une bougie dont la flamme vacillait dans l’obscurité. La pièce était déserte. Silencieuse. Affreusement silencieuse. Une drôle de boule se forma dans mon estomac. Abasourdie, je n’osai pas émettre un son. Je me sentais seule avec cette stupide carafe débordante de jubilation qui pesait à présent une tonne. Seule et stupide.
Une voix gronda alors dans la pénombre. Une voix sourde, sensuelle, pleine de promesse. Un frisson m’a effleuré le corps, des orteils au cuir chevelu. C’était la voix de Jason, la star du collège. Beau, riche, un corps de rêve, et un regard qui ferait marcher un paraplégique.
Comme pour confirmer ma pensée, il a levé la tête du dos du canapé, m’honorant de son regard ténébreux. Des marécages s’offrirent à moi, et je m’y enlisai avec délectation.
- Tu comptes te descendre ça toute seule, ou t’aurais rien contre un coup de main ? a-t-il prononcé en riant.
J’ai ri aussi, ou du moins ai-je ricané. Je me trouvais idiote.
J’ai fini par le rejoindre, sur le canapé. J’en revenais pas. Les fesses musclées de Jason Brender reposaient à quelques centimètres de moi, m’invitant ostensiblement à les agripper. C’était peut-être le cadeau d’anniversaire de mes amies. Comme quoi finalement l’amitié existait vraiment.
Me rendant compte que la carafe de margharita bandait toujours dans mes mains, je remplis le verre d’un geste automatique et le lui tendis. Il l’accepta d’un regard rieur, siffla le verre cul sec et l’envoya valdinguer derrière lui. Tout en me dévorant des yeux, il me débarrassa de la carafe pour la poser sur la table basse. Puis il m’embrassa. Je me laissai faire. Son souffle, sa langue, ses lèvres. Mouillées. Mentholées. J’aimais bien leur goût sucré. La chaleur qu’elles dégageaient. Les bouleversements hormonaux qu’elles provoquaient. Il glissa sa langue sur ma poitrine et me croqua un téton, je le laissai également faire. Je le laissai même aventurer une main dans ma culotte, même si j’avais entendu dire qu’il ne fallait jamais permettre à un garçon de dépasser le genou la première nuit – mais j’aurais bien voulu les voir les moralistes aux prises avec Jason Brender. Puis ses doigts se glissèrent entre mes jambes. Je me raidis un peu. C’était une terre inconnue en ce qui me concernait, et je n’aurais rien eu contre un peu plus de douceur.
- Tu aimes ça ? a-t-il haleté en insinuant sa langue dans mon oreille.
J’aimais pas trop, mais j’ai gémi, parce que j’ai pensé que c’était ce qu’il attendait. Je ne savais pas tellement quoi faire, combien de temps ça devait durer. Mon immobilité ne sembla pas le préoccuper. Bientôt il dégrafa son pantalon. Me posa la main sur son sexe. Il était dur, gonflé. J’en eus des palpitations. Évidemment j’étais pas plus avancée sur le fonctionnement de la bête. Alors il posa sa main sur la mienne et me guida. En avant, en arrière, en avant, en arrière. J’espérais ne pas me débrouiller trop mal. J’essayais de rester concentrée même si ses doigts fourrant plus loin en moi me faisaient grimacer de douleur.
D’un mouvement brusque il engagea un troisième doigt. J’hurlai. Il m’imita, s’éjectant du sofa. Le visage grimaçant, il se massa le gland que, sous l’effet de la surprise, j’avais mordu.
- T’es une putain de cause perdue, tu sais ça ! s’écria-t-il en fureur. Ca marchera pas. Vous pouvez sortir…
Et alors que je lui tendais une main suppliante, une lumière aveuglante surgit dans la pièce avortant des créatures criardes qui m’encerclèrent comme une pestiférée. Elles étaient toutes là : Shelly, Sonia, Myriam… planquées dans les placards, derrière les meubles, comme des blattes. Des flashs d’appareil photo crépitèrent autour de ma dépouille débraillée, penaude et si ridicule. J’entrevis mon reflet dans le miroir : un cou de tortue, des cuisses de grenouilles, des yeux de merlan frit… j’étais une Barbie déchue avant même d’être sacrée.
Sous l’afflux des sifflements, le souffle commença à me manquer. Mon cœur s’emballait.
- La pucelle ! La pucelle ! La pucelle !
Leurs rires qui m’arrachaient les tripes.
- La pucelle ! La pucelle ! La pucelle !
Je plaquai mes mains sur mes oreilles, mais leurs rires fielleux s’insinuaient par les orifices. Leurs yeux haineux m’agressaient la peau. Je sentais leurs iris se planter dans mon corps comme des crocs. Je me mis à tourner sur moi-même en hurlant. Je ne voulais plus les entendre. Je ne voulais plus les voir.
Mes yeux désespérés rencontrèrent brièvement ceux de Jason qui sourit méchamment. Je l’entrevis porter ses doigts à ses narines puis froncer du nez.
- En plus elle pue de la chatte, se gaussa-t-il provoquant un nouveau déferlement de ricanements d’hyène.
C’est à ce moment que je m’évanouis.
Quand je repris connaissance, la maison était déserte. L’obscurité baignait à nouveau la pièce, ainsi que le silence pesant, comme après une tempête destructrice, sauf que cette fois-ci je lui en fus reconnaissante.
Je me traînai jusqu’à ma chambre. Le vagin endolori. J’avais honte. Honte d’avoir mal, honte d’être pucelle, honte de l’avoir laissé fourrer en moi, et honte de ne pas avoir aimé ça. Étais-je donc si différente de toutes les autres filles ?
Les draps m’accueillirent chaleureusement, me bordant même tendrement. Eux, au moins, se fichaient de savoir si un jour je deviendrais une femme… J’avais eu trop de cauchemars, de rêves, d’espoir de petite fille, emmitouflée dans leur laine… des rires, des larmes aussi…
Le sommeil eut du mal à venir, les images obscènes et mortifiantes revenaient à l’assaut, me poignardant le cœur encore et encore. Je me débattis contre les réminiscences de la soirée qui m’assommaient imperturbablement.
Aux aurores seulement je m’abandonnai au sommeil. C’est alors que je sentis une présence… un souffle. Chaud. Dangereux. Étranger… tout proche. Puis aussitôt après un poids sur moi.
J’essayai de me dégager, mais l’ombre m’immobilisa. J’essayai de crier, mais aucun son ne sortit de ma gorge. J’étais comme paralysée de l’intérieur.
Ce n’était pas Jason. Ni Marc. Je connaissais leur odeur. Je connaissais leur force… or l’être m’écrasant de sa masse qui forçait son chemin en moi était plus grand, plus fort… et il n’avait pas d’odeur.
Lorsqu’il me pénétra, une douleur aigüe me transit. Un cri agonisant se bloqua dans ma gorge, m’arrachant les amygdales. J’essayai de me débattre mais j’étais figée. Je sentais son sexe s’imposer en moi. J’avais mal. Je tentai encore une fois de me défendre, mais je ne parvins pas même à bouger le petit doigt.
Épuisée, résolue, je lui abandonnai mon corps qui déjà ne m’appartenait plus. Il termina son affaire puis m’abandonna.
J’ai pensé appeler au secours, à pleurer des torrents de larmes frustrées… pourtant je restai immobile, les yeux rivés au plafond. Le corps endolori. J’avais froid. J’avais mal. À l’âme.
Épuisée, je me recroquevillai sur moi-même. Quelque chose de chaud coula entre mes jambes. Je levai mes doigts. Du sang. Je l’observai, abasourdie, puis m’enfonçai plus profondément dans le labyrinthe étourdissant de l’hystérie.
Le lendemain ma mère me trouva emmaillotée au milieu des couvertures, le regard fiévreux. J’avais envie de tout lui raconter. La honte m’en empêcha. Cinquante ans d’existence, plaine, sans écorchure, un soleil immense, omniprésent, au milieu d’un ciel éternellement bleu. Ma mère a résisté à toutes les intempéries, évitant les obstacles avec souplesse, et cueillant les agréments avec légèreté. Je n’avais pas envie d’entacher sa douce vie d’un drame.
Je feignis une migraine effroyable - ce qui n’était pas si éloigné de la réalité - pour ne pas aller à l’école. Après la soirée de la veille, je n’avais plus envie d’y retourner. Jamais. Affronter le regard des autres, ces regards qui avaient bafoué mon intimité, m’avaient volé le peu d’estime qui s’accrochait à moi… je ne pensais pas pouvoir le supporter.
Je restai la journée au lit à scruter ma chambre. J’essayai d’oublier l’évènement de la veille. Si bien qu’au bout d’un moment je pensai l’avoir rêvé. Tout semblait si normal. Pourtant au vue de la situation le plafond aurait dû être plus bas, le soleil briller moins intensément et les rires des gens dans la rue s’atténuer. Pourtant tout continuait comme avant, comme si rien ne s’était passé.
La venue progressive de la nuit m’effraya. J’appelai ma mère. Je peux dormir avec toi s’il te plaît ? Tu n’es plus une petite fille, voyons, tu te rappelles ce que je t’ai dit ? Tu es une femme à présent. Une femme… si c’est ça être une femme, vous pouvez remballer tout le paquet, je veux rester une petite fille, qu’on me rassure à coup de contes de fées et de câlins. Pourquoi doit-on toujours aller de l’avant ?
Elle finit par accepter que je visionne les deux films du soir à ses côtés. Je me blottis contre son corps accueillant, son odeur rassurante, sa chaleur réconfortante. Bercée par ses bras, je m’endormis rapidement.
Je me réveillai en sursaut. Un craquement de plancher. J’ouvris les yeux. J’étais dans mon lit. Seule. Abandonnée. L’ombre était là. Je la sentais. Je m’apprêtai à appeler à l’aide, mais elle était déjà sur moi me paralysant à nouveau. Son souffle acide m’empesta les narines.
- Laisse-toi faire, ça ira plus vite, me dit-elle.
Les yeux écarquillés par l’effroi, je sentis son pénis s’enfoncer en moi. Mon regard ne quitta pas le plafond étouffant qui se rapprochait chaque seconde de moi jusqu’à m’engloutir complètement.
Ma mère n’aimait pas l’idée que je manquasse l’école pour la deuxième fois. Une déviation de routine, une énorme cavité sur la ligne droite et goudronnée de sa peinarde de vie. Je fus contrainte d’aller consulter le médecin. Je ne répondis pas à ses questions. Je refusai catégoriquement qu’il m’ausculte. Il me dévisagea, suspicieux, puis tenta la compassion, mais je continuai à fixer le vide d’un air morne. Je déteste la compassion.
Quand je rentrai ma mère se tenait le dos droit sur le divan, le visage soucieux. Mon drap de lit froissé entre les mains.
- Pourquoi tu ne m’as rien dit ? souffla-t-elle, la voix brisée.
Mon cœur s’affola dans ma poitrine. Le soulagement me tira des larmes de crocodile.
- Oh maman… ! m’écriai-je en lui sautant dans les bras. J’avais peur de ta réaction.
Elle me serra fort, reconnaissante, puis me prit le visage dans ses mains.
- Ce n’est pas grave, ma chérie, me dit-elle. Tu es une femme maintenant.
Je ne comprenais pas.
- Toutes les jeunes filles passent par là, tu sais.
L’étrange boule qui me tordait l’estomac depuis la piteuse soirée se manifesta. Ma poitrine tressauta sous la pression.
- Tiens, prends ça, je les ai achetés rose et parfumés.
Elle me tendit un petit sachet de tampons.
- Oh, ma fille, je suis si fière de toi…
Un râle me racla la gorge alors que des larmes ruisselaient sur mon visage, mais ce n’était pas pour les raisons qu’elle croyait.
Le soir même je me refusai à dormir. Figée sous les couvertures, j’observais la fenêtre que cette fois-ci j’avais pris soin de fermer. Toutes les portes étaient barricadées, j’avais vérifié. J’avais même glissé une chaise sous la poignée de la mienne. Il ne pouvait pas rentrer.
Les feuilles des arbres battaient sauvagement la vitre. Le vent se glissait par les interstices, émettant un sifflement aigu, comme le gémissement d’un d’enfant torturé.
Le bruissement des feuilles eut raison de moi. Je finis par sombrer.
Un bruit de verre m’extirpa de mon semi sommeil. Paralysée, je scrutai l’obscurité soudaine de la chambre d’ordinaire baignée par la lumière d’un réverbère extérieure. Une obscurité poisseuse qui me prit à la gorge. Je ne le voyais pas. Je savais pourtant qu’il était là.
- C’est toi ? parvins-je à prononcer pour me rassurer.
C’était un râle plus qu’un souffle que ma gorge avorta.
Il ne répondit pas, mais je le sentais. L’étreinte se resserra. Je devinai dix doigts qui s’enroulaient autour de mon cou fragile. Malgré la noirceur, lui me voyait. Il se nourrissait de ma terreur.
Des frissons me transirent. En même temps, une excitation malsaine croissait dans mes veines. Je me haïs d’éprouver un tel rejet et à la fois une telle attraction pour lui, comme si secrètement je l’appelais à moi.
- S’il te plaît, ne me fais pas mal, l’implorai-je, mais avant que j’aie pu en dire davantage, il me plaqua contre le matelas et s’introduisit violemment en moi.
Comme les autres fois, je fus incapable de crier, pleurer, ou même bouger. Il me souilla encore et encore, se faisant plus brutal quand je luttais intérieurement. Mon regard se logea sur la vitre brisée qui bayait déchirée comme moi.
- N’essaie pas de m’échapper. Je te retrouverai toujours, me dit-il avant de me quitter.
Je gisais là, sur mon lit, abasourdie, vidée. Sa voix ne m’était pas inconnue, mais j’eus beau me creuser la tête, je ne parvins pas à la cerner. Je décidai de l’appeler Billy afin d’humaniser l’innommable.
Aucun argument ne tempéra l’indignation de ma mère. Déjà que je ne pouvais pas expliquer la vitre brisée, il était hors de question que je manque un jour de plus le collège.
Elle m’accompagna jusqu’à l’entrée pour être sûre que je ne dévie pas de chemin. Une femme ne doit jamais s’aventurer hors des sentiers battus, elle risquerait de se perdre à jamais. On n’en revient donc pas de l’inconnu ? Non, ma fille, une fois l’âme écorchée, on est damnée à jamais, me répondit-elle, la tête haute. Et arrête avec tes questions stupides. Bon Dieu, pourquoi ne prends-tu pas exemple sur Shelly ?
Shelly la vamp. La garce de l’école. Qui fait toujours bonne figure devant les adultes. Cette sale peste qui m’avait ravagé mon monde, même s’il ne tenait qu’à une maison pourrie au milieu d’un champ de blé brûlé. Au moins avais-je mon coucher de soleil et le bruit du vent. Maintenant il faisait froid chez moi. Une neige mouillée, aveuglante et glacée à perte de vue.
J’entrai dans l’enceinte du collège la tête basse. Je les aperçus au loin. Le groupe des bonnasses, comme on les surnommait. Les yeux écarquillés de jubilation. Elles n’en revenaient pas. Leur souffre douleur était de retour. Elles gloussèrent dans leurs mains, se firent des messes basses qui se ponctuèrent d’éclats de rire. Étrangement ni le ridicule ni l’embarras ne me dévorèrent le cœur. Au contraire même. Une assurance teintée de fierté me gonfla la poitrine. Mon corps me balança gracieusement jusqu’à elles. Mes seins se dressèrent, mes hanches ondulèrent. Je ne reconnaissais pas mon corps. Peut-être était-ce vrai finalement : j’étais une femme à présent.
Les connasses en avaient la mâchoire qui bâillait. Elles m’observaient, les yeux ronds, bluffées par mon culot. Je m’amusais comme une folle.
- Alors, les poufiasses, toujours à jacasser comme des pies déplumées ?
C’est moi qui venais de parler. Un moi qui m’en bouchait un coin. Une main sur les hanches, je me mouillai les lèvres. C’est alors que je le vis… le petit truc qui faisait la différence. Il ne sautait pas aux yeux, mais pour un œil aguerri, il était visible comme une grosse verrue au milieu du visage. J’en éclatai de rire. Les pucelles, c’étaient elles. Toutes. Il leur manquait le petit éclat dans les yeux, l’éclat de la connaissance, du passage de l’autre côté. La candeur brillait dans leurs iris même si elles tentaient de la dissimuler. Mais moi, maintenant, je la voyais.
Je ris une nouvelle fois, puis m’éloignai en me déhanchant.
Plus tard dans la journée, j’aperçus Jason qui discutait avec Zoriana l’intouchable. Il me sourit malicieusement quand il me repéra. D’un index aguicheur, je l’invitai à me rejoindre. Il se retourna, étonné que je m’adresse à lui, l’abruti. Il s’approcha alors. Avant qu’il ait eu le temps d’ouvrir la bouche, je le tirai par la ceinture dans les toilettes. Je le fis jouir deux fois, sans merci. Alors que je renfilai ma jupe, il s’exclama, essoufflé :
- Je me suis trompée sur toi, t’es un sacré coup.
Il ne me vit pas étirer mes lèvres en un sourire malsain.
- Ouais, c’est vrai que c’était pas mal.
Je portai mes doigts à mes narines.
- Dommage que tu pues de la bite.
Je l’abandonnai piteusement à sa fierté bafouée.
Shelly trépignait derrière la porte. Elle croisa les bras quand elle m’aperçut et tapa nerveusement du bout du pied. Ses yeux étaient rouges.
- Sale garce, tu veux me piquer mon copain ?
- Cette bite molle, tu peux te le garder. J’ai déjà un copain. Il s’appelle Billy. Et lui c’est un homme, un vrai.
La nuit venue, j’étais prête à le recevoir. J’avais piqué un déshabillé à ma mère. Il m’était un peu trop grand ; j’espérais qu’il ne s’en rendrait pas compte. Cette fois-ci j’avais laissé la porte et la fenêtre ouvertes, pour qu’il sache que je l’attendais.
Minuit arriva. Une heure. Deux heures. Il n’était toujours pas là. Vers trois heures seulement, alors que mes yeux se voilaient, je sentis son souffle contre moi. Il n’avait pas l’air heureux. Sa colère vibra jusque dans mes os. Je n’aurais pas dû parler de lui. C’était notre secret. J’essayai de lui expliquer que je l’aimais, qu’il pouvait m’avoir tout à lui. Ça l’enragea davantage. Du revers de la main il me frappa sauvagement le visage. J’eus peur soudain. Je ne connaissais pas cet homme. Je ne connaissais pas de quoi il était vraiment capable. D’une main leste il m’arracha mon déshabillé, me frappa encore une fois. J’avais mal. Je voulais qu’il s’en aille, tout de suite. Je m’étais trompée. Je ne voulais pas être une femme. Je ne voulais pas souffrir. Il me tira les bras en arrière, s’enfonça brutalement en moi, plus brutalement encore que la dernière fois. Et alors qu’il me plantait de son pénis, ouvrant plus largement la plaie, il me serra la gorge de ses mains. J’essayai de résister mais quelle chance avais-je contre lui ? Mon larynx s'obstrua, mes poumons s’enflammèrent. La douleur me déchira les entrailles. Je me sentis défaillir. Dans un dernier élan de lucidité, je feignis l’abandon pour qu’il relâchât son étreinte. C’est alors que je parvins à hurler.
La lumière jaillit de l’obscurité. Ma mère me découvrit à moitié nue, son déshabillé déchiré, le visage meurtri et mes yeux qui l’appelaient désespérément à l’aide.
Son instinct de mère lui fit dériver le regard par la fenêtre par laquelle il s’était enfui. Il ne restait de son passage que mon corps abusé et meurtri.
Je restai longtemps dans ses bras, à chercher la paix. Elle me berçait, m’embrassait, me protégeait.
- Oh ma fille, oh ma fille, oh ma fille, marmonnait-elle inlassablement.
Des larmes grosses comme des grêlons ruisselaient sur son visage.
-Comment ai-je pu ne pas comprendre ? Plus jamais je ne t’abandonnerai, mon ange, c’est promis.
Rassurée, je restai blottie dans ses bras, comme la petite fille que j’étais redevenue.
Je m’efforçai de faire une description de mon agresseur à la police, mais je n’avais pas grand-chose à leur donner. L’obscurité dissimulait ses traits. Ils réclamèrent un nom. Je leur lâchai Billy, pour qu’ils aient quelque chose à rogner. J’avais besoin qu’ils me croient.
Le médecin qui m’ausculta confirma le déchirement des tissus. Pas de sperme néanmoins. Je ne me souvins pas de lui jouissant en moi. Peut-être utilisait-il des préservatifs. Il me demanda si c’était le cas. Je ne savais pas quoi répondre. Il me sourit alors et me tendit une sucette au coca, comme quand j’étais petite et que je m’étais bien comportée. Son odeur familière me rassura. Je n’étais plus une grande. Je n’étais pas encore responsable de mes actes.
Il demanda à parler à ma mère en privé. Je les voyais discuter par la vitre du carreau de la porte. De vieux amis. Vingt ans qu’ils se connaissaient. Elle l’écouta, anxieuse, l’ongle d’un pouce coincé entre les dents. Puis elle secoua la tête, incrédule. Il insista. Elle cria. Je ne la reconnaissais pas. Le médecin lui posa une main réconfortante sur l’épaule. Elle baissa la tête et fondit en larmes. Quand elle me surprit à les observer, elle détourna le regard, sécha ses larmes et me rejoignis. Un sourire réconfortant illumina son visage, même si des lueurs de chagrin délavaient son regard.
- On va affronter la situation ensemble, ma chérie, je vais t’emmener là où il ne te retrouvera jamais.
J’eus une pensée pour Billy et ce qu’il m’avait dit, que peu importe où j’irais, il me retrouverait. Mais j’avais confiance en ma mère, confiance en sa force, en son amour, en son indiscutable instinct protecteur. Elle saurait le tenir éloigné.
Le chalet se dresse au milieu d’une forêt. Isolée, je récupère doucement de mes agressions. Je ne pense plus à lui. Son odeur s’atténue. Mon vagin se referme comme une rose. Je me sens comme un bourgeon qui attend le printemps pour s’épanouir. C’est une sensation si pure que j’ai l’impression d’avoir retrouvé ma virginité.
Une semaine déjà que maman et moi dormons ensemble, mangeons ensemble, prenons de longs bains chauds ensemble en lisant des contes de fée. Pas de télé, pas de journaux, rien qui pourrait nous rappeler l’implacabilité du monde extérieur. Nous vivons dans un cocon douillet où son amour maternel me protège de la cruelle réalité. Sa petite fille à jamais.
Aujourd’hui seulement, elle se risque à quitter mes côtés pour cueillir des champignons dans les bois.
Bercée par les crépitements du bois qui se consume dans la cheminée, je m’endors. Pour la première fois depuis une semaine, je pense à lui. Une légère écorchure de l’esprit. Je me retourne subitement, agacée, pour l’en chasser. Mes yeux s’ouvrent d’effroi. Son odeur. Son souffle chaud tout contre mon visage.
- Je t’avais dit que tu ne pouvais pas m’échapper, me susurre-t-il à l’oreille.
J’hurle le nom de ma mère, mais il est déjà en moi, m’ouvrant à nouveau, déchirant la fleur que j’étais redevenue, arrachant les pétales écarlates qui volent dans les airs pour tomber meurtries sur le sol souillé.
La porte s’ouvre. Ma mère apparaît, se plaque une main sur le visage en nous découvrant. Le Docteur est à ses côtés. Je ne comprends pas.
- Il m’a retrouvée, bredouillé-je.
Ma mère me regarde, le visage ravagé. Billy, pris au dépourvu, est encore en moi.
Pourquoi diable ne bougent-ils pas ?
- Ca va aller, me dit le docteur.
Pourquoi est-il si calme ?
Il s’empare d’un grand miroir et s’approche de moi.
Maintenant je sais pourquoi la voix de Billy me disait quelque chose.
Une main me tire les cheveux. L’autre tient mon fer à friser enfoncé dans mon vagin.
Le visage de mon agresseur se matérialise dans le brouillard. Ses traits se précisent. Incrédule, je le dévisage dans le miroir.
Billy, c’est moi.
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